Histoire des Arts

 

 

Dziga VERTOV (1895-1954)

Très marqué par le futurisme de Maïakovski, Denis Kaufman prend le pseudonyme de Dziga (« toupie » en ukrainien) Vertov (dérivé du russe vertet, « tourner, pivoter »). Passioné par la musique, montant sons et bruits divers empruntés au réel et il fonde, en 1917, le Laboratoire de l’ouïe. Mais c'est l'image et le cinéma qui vont guider sa carrière.

Rallié avec enthousiasme à la Révolution, il se met, en 1918, à la disposition du Comité du cinéma de Moscou et devient rédacteur en chef et monteur du Kino-Nédélia (« Ciné-Semaine »). Dans une quarantaine de ces journaux filmés, il expérimente un montage fondé sur le mouvement, qu’il poursuit, faute de pellicule vierge, dans des films de montage, dont il est le pionnier.

Sa double formation artistique et scientifique fait de lui un inlassable expérimentateur. Dès 1919, il expose dans le manifeste « kino-glaz/ciné-œil » une succession de réflexions théoriques à la façon des futuristes, marqué par les mots clés : « kino-pravda/ciné-vérité », « vie à l’improviste »... Sa pensée théorique est, de ce fait, peu aisée à cerner, d’autant qu’elle a varié au fil des années et que la pratique du cinéaste est souvent loin de lui correspondre. Le point central et invariable de cette pensée est le refus du « ciné-drame artistique » (avec scénario, studio, décors, acteurs), nouvel « opium du peuple » auquel il reproche d’« hébéter et de suggestionner » le spectateur.

En 1923, il décrit ainsi le cinéma :

" Je suis un œil. Un œil mécanique. Moi, c'est-à-dire la machine, je suis la machine qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir. Désormais je serai libéré de l'immobilité humaine. Je suis en perpétuel en mouvement. Je m'approche des choses, je m'en éloigne. Je me glisse sous elles, j'entre en elles. Je me déplace vers le mufle du cheval de course. Je traverse les foules à toute vitesse, je précède les soldats à l'assaut, je décolle avec les aéroplanes, je me renverse sur le dos, je tombe et me relève en même temps que les corps tombent et se relèvent… Voilà ce que je suis, une machine tournant avec des manœuvres chaotiques, enregistrant les mouvements les uns derrière les autres les assemblant en fatras. Libérée des frontières du temps et de l'espace, j'organise comme je le souhaite chaque point de l'univers. Ma voie, est celle d'une nouvelle conception du monde. Je vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez pas. "

Puis :

" Le cinéma dramatique est l'opium du peuple.
A bas les rois et les reines immortels du rideau. Vive l'enregistrement des avants-gardes dans leur vie de tous les jours et dans leur travail !
A bas les scénarios-histoires de la bourgeoisie. Vive la vie en elle-même !
Le cinéma dramatique est une arme meurtrière dans les mains des capitalistes ! Avec la pratique révolutionnaire au quotidien nous reprendrons cette arme des mains de l'ennemi.
Les drames artistiques contemporains sont les restes de l'ancien monde. C'est une tentative de mettre nos perspectives révolutionnaires à la sauce bourgeoise.
Fini de mettre en scène notre quotidien, filmez-nous sur le coup comme nous sommes.
Le scénario est une histoire inventée à notre propos, écrite par un écrivain. Nous poursuivons notre vie sans avoir à la régler au dire d'un bonimenteur.
Chacun de nous poursuit son travail sans avoir à perturber celui des autres. Le but des Kinoks est de vous filmer sans vous déranger.
Vive le ciné-oeil de la Révolution !

NOUS

Nous, afin de nous différencier de la meute de cinéastes ramassant pleinement la saleté des poubelles, nous nommons les " Kinoks ". Il n'y a aucune ressemblance entre le " cinéma réaliste des Kinoks " et le cinéma des petits vendeurs de pacotilles. Pour nous, le cinéma dramatique psychologique Russe-Allemand lourd de souvenir infantile ne représente rien d'autre que de la démence. Nous proclamons les films théâtralisés, romanisés à l'ancienne ou autres, ensorcelés.
Ne les approchez pas !
N'y touchez pas des yeux !
Il y a danger de mort !
Ils sont contagieux ! Nous pensons que l'art du cinéma de demain doit être le reflet du cinéma d'aujourd'hui. Pour que l'art du cinéma survive, la " cinématographie " doit disparaître. Nous voulons accélérer cette fin. Nous sommes opposés à ceux que beaucoup appèle le cinéma de " synthèse ", mélangeant les différents arts. Même si les couleurs sont choisies avec soin, le mélange de couleurs affreuses donnera une couleur affreuse, on ne peut obtenir le blanc. La véritable union des différents arts ne pourra se faire que quand ceux-ci auront atteint leur apogée. Nous nettoyons notre cinéma de tout ce qu'y s 'y est insinué, littérature et théâtre, nous lui cherchons un rythme propre, un rythme qui n'ait pas été chapardé ailleurs et que nous trouvons dans le mouvement des choses. Nous exigeons : à la porte
Les étreintes exquises des romances
Le poison du roman psychologique
Les griffes du théâtre amoureux
Le plus loin possible de la musique. Avec un rythme, une évaluation, une recherche d'outils propres à nous même, gagnons les grandes étendues, gagnons un espace à quatre dimensions (3 + le temps).

L'art du mouvement qu'est le cinéma ne nous empêche en aucun cas de ne pas porter toute notre attention sur l'homme d'aujourd'hui. Le désordre et le déséquilibre des hommes autant que celui des machines nous font honte. Nous projetons de filmer l'homme incapable de maîtriser les évolutions. Nous allons passer du lyrisme de la machine à l'homme électrique irrécusable. En dévoilant l'âme de la machine, nous allons faire aimer le lieu de travail de l'ouvrier, le tracteur de l'agriculteur, la locomotive du machiniste… Nous allons rapprocher l'homme et la machine. Nous formerons des hommes nouveaux. Cet homme nouveau, épuré de ses maladresses et aguerri face aux évolutions profondes et superficielles de la machine, sera le thème principal de nos films. Il célèbre la bonne marche la machine, il est passionné par la mécanique, il marche droit vers les merveilles des processus chimiques, il écrit des poèmes, des scénarios avec des moyens électriques et incandescents. Il suit le mouvement des étoiles filantes, des évènements célestes et du travail des projecteurs qui éblouissent nos yeux. "

Le principe du ciné-œil repose sur l’idée que la caméra, « œil plus parfait que l’œil humain », enregistre des faits, mais est dirigée par une pensée qui choisit le sujet et organise les prises de vues préalablement au tournage ; d’où l’idée du montage ininterrompu et la formule : « Le montage précède le tournage. » Le ciné-œil ne court pas, comme le lui reproche Eisenstein, « derrière les choses telles qu’elles sont », mais procède à un « ciné-déchiffrement communiste du monde ». Comme la réalité dans la dialectique marxiste, le mouvement du montage est conçu comme contradiction.

La perspective de Vertov est doublement pédagogique : analyse et explication du monde et, par la méthode des « intervalles » consistant à renforcer les ruptures qu’introduit le montage, désignation de ces contradictions à un spectateur devenu actif, qui dispose ainsi des moyens de procéder à sa propre analyse du réel, voire de devenir cinéaste lui-même.

Filmographie

1919

L'Anniversaire de la révolution

1920

La Bataille de Tsaritsyne
Le Procès Mironov
Ouverture du reliquaire de Serge Radonej

1921

Film-voyage

1922

Histoire de la guerre civile

1922
- 25

Ciné-calendrier de l'état
Cinéma-vérité

1924

Ciné-oeil

1926

Soviet en avant
La sixième partie du monde

1929

L'Homme à la caméra

1930

Enthousiasme (ou la symphonie du Doubass)

1934

Trois chants sur Lénine

1937

Berceuse

1938

Trois héroïnes

1941

Sang pour sang, mort pour mort

1944

Le Serment de la jeunesse

1944
-45

Nouvelles du jour

 

http://histoiredesarts.9online.fr (2003)

Écrire au webmestre