Histoire des Arts

 

 
 

 

Les arts plastiques

L’épanouissement de l’avant-garde russe de 1910 à 1922

Parallèlement au bouillonnement social qui agite la Russie du début du XXe siècle et qui culmine dans la révolution sociale de 1917, les arts plastiques connaissent en ce pays un développement remarquable, sous l’influence du fauvisme et du cubisme (Matisse, Bonnard, Picasso) introduits par les collectionneurs Stchoukine et Morosov.


Kasimir Malevitch
, La Moissonneuse, 1912
Kasimir Malevitch, d’abord marqué par l’académisme, fauve de 1906 à 1912, inaugure ensuite une première période cubiste : dans ses œuvres, les personnages et les objets sont réduits aux volumes primordiaux. Influencé au début des années dix par le cubisme analytique de Picasso, il crée le Carré noir sur fond blanc, première œuvre suprématiste.

Kasimir Malevitch, Carré noir sur fond blanc, 1913-15

S’opposant à toute conception utilitariste de l’art, insistant sur son caractère subjectif et désintéressé, il affirme « la suprématie de la pure sensibilité dans l’art [...] La sensibilité est la seule chose qui compte dans l’art » (Die gegenstandlose Welt, 1927). Il croit à cette mystique du sentiment parce qu’un assemblage élémentaire de formes, plus que tout autre objet concret, possède le pouvoir de libérer l’imagination.

Proche de Malevitch par l’esprit et l’inspiration, El Lissitzky, auteur d’un conte suprématiste, L’Histoire de deux carrés, se rapproche en 1919 de l’école constructiviste. Sous ce nom sont réunis, à l’origine, de jeunes artistes révolutionnaires, dévoués aux idées sociales, soucieux de construire des objets utiles. Vladimir Tatlin imagine en 1920 un projet de monument pour la IIIe Internationale.

Mais, à côté de ce constructivisme « engagé », il faut distinguer l’orientation plus strictement esthétique des frères Pevsner (Naum Gabo et Anton Pevsner).

Naum Gabo
, Tête n°2, 1916

Anton Pevsner, La Croix ancrée, 1933

Par leur Manifeste réaliste de 1920, ils affirment que la révolution dans les arts suppose la liberté totale de l’artiste. Sculpteurs, ils voient surtout dans le constructivisme l’intégration de l’espace et de l’air dans l’économie de l’œuvre : « Une sculpture n’est pas une réalité en soi ; elle doit s’intégrer dans l’espace, se l’approprier par tous les moyens. Le volume n’est pas la seule expression spatiale. » Leurs idées seront reprises par les architectes. Naum Gabo et Anton Pevsner recommandent encore l’emploi de matériaux transparents, verre ou plastique. Le recours au cinétisme, afin que « les éléments de l’art [aient] leur base dans la rythmique dynamique », introduit dans l’œuvre d’art le temps réel, et non la simple suggestion du temps par le mouvement statique d’une ligne ou d’une forme.


Wassily Kandinsky, Composition VIII, 1923
Rien de marxiste, apparemment, dans ces écoles ou manifestes en « isme «  : le rayonnisme de Larionov, le cubo-futurisme, le fonctionnalisme, le non-objectivisme de Rodtchenko. Du spirituel dans l’art, de Kandinsky, qui rentre à Moscou en 1914, développe des idées esthétiques plus mystiques et idéalistes que matérialistes.

 

Pourtant, entre 1921 et 1928, on retrouve Tatlin, Malevitch, Matjuschin, Filonov, Mansourov, Pougny dans un Institut de culture artistique. De 1922 à 1928, Mansourov, peintre rigoureusement abstrait, dirige une section expérimentale au musée de Culture de l’art. Chagall est nommé en 1917 commissaire des Beaux-Arts pour le gouvernement de Vitebsk et fonde une académie. Kandinsky fonde l’Académie des arts et sciences et la dirige jusqu’en 1922 ; en 1919, Kandinsky, Tatlin et Malevitch font partie du Bureau international des arts qui prépare, avec Lounatcharski, le premier Congrès international des arts nouveaux. Il n’aura d’ailleurs pas lieu.

Comment expliquer alors que ces artistes futuristes (le terme de l’Italien Marinetti sera repris en U. R. S. S. ; particulièrement par le poète Maïakovski) se retrouvent sur le même chemin que les révolutionnaires de 1917 ? Même les plus opposés à l’idéologie marxiste ont conscience que, par la création d’un art nouveau, ils collaborent à la transformation révolutionnaire de la vie : en tant qu’artistes, ils accomplissent une révolution esthétique parallèle à la révolution politique qui bouleverse l’ancien ordre social ; les peintres décorent les rues avec d’immenses toiles non figuratives. Le mystique Malevitch disait, en 1920, que « la Révolution n’est rien d’autre qu’une nouvelle énergie économique mouvant la Révolution universelle », ou encore : « Le cubisme et le futurisme ont été en art les formes révolutionnaires qui ont annoncé la Révolution politique et économique de 1917 » (cité par J. Berger, in Art et révolution). Tatlin donne ainsi à la spirale de son projet concernant la IIIe Internationale une signification symbolique : « la ligne du mouvement de l’humanité libérée » (A. Kopp).

 

http://histoiredesarts.9online.fr (2003)

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