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Kasimir
Malévitch
En
1900, Malévitch a vingt deux ans et suit les cours de l'Académie
de Kiev. Il se familiarise à l'art populaire et aux icônes
religieuses, orthodoxes, il se forme aux arts appliqués. Il travaille
au début comme dessinateur industriel pour les chemins de faire
de Koursk, mais désire se rendre à Moscou pour découvrir
les grandes collections de peinture de Chtchoukine, de Morosov, et l'art
de ses contemporains. Son oeuvre à venir va établir un
lien entre ces deux domaines, trop souvent jusqu'alors séparés.
Gauguin,
Nave Nave Moe (le Printemps),
1894
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Lors
de ses premiers séjours à Moscou en 1904-1905,
il voit pour la première fois des peintures néo-impressionnistes
et de la fin du XIXème siècle. L'effet est immédiat
sur sa peinture, ses couleurs s'éclaircissent, deviennent
plus franches, vives.
Dans
les années 1907-1908, il passe par une phase symboliste
dont le style un peu incertain témoigne d'une hésitation
entre le mysticisme et la satire.
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Mais
la vision des toiles de Cézanne et Matisse le font évoluer.
Le chatoiement des couleurs ou la figuration symbolique ne l'intéresse
plus. Il cherche des effets plus purement picturaux obtenus par
une simplification des formes et des volumes.
A
cette époque, Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova,
occupent le devant de la scène artistique russe, avec une
peinture " primitiviste " qui privilégie les
couleurs et les formes simples. Malévitch s'engage à
leurs côtés, mais s'intéresse également
de très prêt à Picasso et au cubisme.
Picasso, Femme à l'éventail,1908
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Cézanne,
Route près de la montagne Sainte-Victoire, 1902
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En
1912, de la synthèse de ces deux tendances, Malévitch
fera naître un art très particulier, ni tout à
fait primitiviste, ni tout à fait cubiste. La thématique
est essentiellement paysanne, mais les personnages et l'environnement
sont tellement réduits à des formes géométriques
qu'ils évoquent certaines peintures de Fernand Léger,
que le peintre russe ne connaissait pas alors.
Le
Bucheron, 1912.
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Malévitch
adopte franchement le langage cubiste dans ce qu'il a de plus radical
: il abandonne la représentation en perspective de l'espace,
pour le recomposer picturalement en une série de facettes qui
associent la figure au fond, le portraituré à son milieu.
Le Bucheron ne fait qu'un avec la forêt et les troncs coupés.
Il pioche aussi du côté des artistes futuristes italiens,
en ajoutant l'expression du mouvement à ses toiles. Dans ce tableau,
le mouvement de la hâche est rendu par la succession des formes
triangulaires blanches qui se répartissent en un arc de cercle
dynamique qui contraste avec le reste du tableau, composé linéairement
et horizontalement.
A
la suite de
Maïakovski, Khlebnikov, Malévitch apporte son soutien
à l'un des nombreux manifestes futuristes. En 1913,
il réalise les décors et les costumes de Victoire
sur le soleil, opéra composé par Matiouchine.
Mais déjà, les inflences cubo-futuristes sont digérées
et Malévitch s'oriente vers une oeuvre de plus en plus
personnelle qui juxtapose, sans s'occuper de la logique, des éléments
divers dans le désordre où ils peuvent se preésenter
dans son univers mental. C'est l'alogisme et le transmental ;
en Russe : le zaoum.
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Anglais
à Moscou, 1914
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Suprématisme,
1915 |
Après
le départ en 1915 de Larionov et Gontcharova pour
l'Occident, Malévitch devient le chef de l'avant-garde
russe la plus extrême. En décembre s'ouvre la fameuse
et célèbre exposition " 0,10 ". Le public
découvre alors avec stupéfaction un art à
l'abstraction brutale et géométrique. Des ronds,
des carrés, des lignes droites, des arcs de cercles, aux
couleurs en nombre (apparemment) limité. En guise de manifeste
visuel, un carré noir sur fond blanc est accroché
dans un angle de la salle de l'exposition, dans la position même
où l'on suspend l'icône sacrée dans les demeures
des croyants orthodoxes.
Ce
geste radical est aussi l'acte de naissance du Suprématisme,
ainsi nommé parce que la peinture atteint de la sorte le
degré suprême de la pureté pour Malévitch.
La peinture devient un art dégagé d'une quelconque
histoire, anecdote, mais comme la musique, produit son sens, sa
réception intellectuelle et émotive par ses moyens
spécifiques, formes, couleurs, matières...
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En
1917, Malévitch, proche des bolchéviques malgré
ses sympathies anarchisantes, se voit confier des responsabilités
artistiques et pédagogiques. Il impose contre Marc Chagall
la pratique et la théorie suprématistes. Il crée
des formes architecturales, les architectones, qui sont à
la fois des sculptures et des projets d'habitation, des objets courants,
industriels, au design très soigné (ce qui à
l'époque était très rare et laissé plutôt
à l'artisanat). |
Théière
et tasse, 1923
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A
la fin des années vingt, Malévitch, en butte au
nouveau conservatisme stalinien, va se heuter à de sérieuses
critiques. Le réalisme socialiste triomphe et l'art trop personnel
de Malévitch est mis à l'index. Le peintre réalise
alors des toiles avec des personnages schématiques, parfois sans
visage, sans bras qui contredisent de manière aussi violente
que les toiles abstraites suprématistes la doctrine officielle.
Buste
à la chemise jaune,1928-32
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Les
tracasseries policières ne l'empêchent cependant
pas d'être respecté dans le monde de l'art : il posséde
un laboratoire au Musée russe et la très officielle
Galerie Trétikov lui organise une rétrospective
à Moscou et à Kiev en 1929-1930. Il est également
très présent à l'exposition Quinze ans
d'art soviétique en 1932.
Bien
que déjà très malade, il adopte en 1933
un curieux style qui rappelle les peintures de la Renaissance,
mais prend bien soin de les signer avec le carré noir pour
affirmer qu'il reste " l'homme du suprématisme ".
Autoportait,
1933.
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A
sa mort en 1935, ses disciples conçoivent pour sa dépouille
un cercueil suprématiste. Une énorme foule asssiste à
son enterrement, comme si le peuple percevait clairement, dans le contexte
de de la montée de l'opression stalinienne, qu'un esprit libre
venait de mourir.
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